La procédure d’information-consultation du CSE doit être menée à son terme avant toute mise en œuvre d’une réorganisation. Le document unilatéral portant PSE ne peut pas être homologué si l’employeur a décidé d’une cessation d’activité ou d’une réorganisation avant l’achèvement de cette procédure… ce qu’il appartient au CSE d’établir, ce qui peut être malaisé.

Par cette décision du 15 novembre 2022, le Conseil d’État se prononce, de manière inédite, sur la chronologie à respecter par l’employeur qui entend mettre en œuvre une réorganisation devant déboucher sur une procédure de licenciement avec plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).

La fermeture d’un établissement dont le bail doit expirer avant le terme de la procédure

Une société engage une réorganisation comportant un projet de licenciement économique lié à la fermeture d’un établissement, qui aboutit à l’homologation du document unilatéral portant PSE en septembre 2019.

Les représentants du personnel, soutenant que l’employeur a mis en œuvre de manière anticipée la fermeture de l’établissement sans attendre la fin de la procédure d’information-consultation du CSE et l’homologation du PSE, saisissent le juge administratif d’un recours.

Dès décembre 2018, l’employeur avait souhaité renégocier le bail des locaux occupés par l’établissement. Aucune baisse de loyer n’avait toutefois été obtenue. En mars 2019, l’employeur avait informé le Dreets de sa situation économique et de son intention de fermer l’établissement, ainsi que du projet de licenciement qui en découlait. Une semaine après, il avait placé certains salariés de cet établissement en dispense d’activité.

Le bail de l’établissement dont la fermeture était envisagée devant prendre fin le 30 juin 2019, l’administration avait envoyé à l’employeur, en avril, sur demande des représentants du personnel, une injonction afin que la date de fermeture définitive de l’établissement soit compatible avec la fin de la procédure d’information et de consultation sur le projet de licenciement économique. L’employeur avait obtenu du bailleur la prolongation du bail jusqu’au 30 septembre 2019.

Pas d’homologation si le CSE n’a pas pu rendre ses avis en connaissance de cause

Saisi du litige, le Conseil d’État commence par rappeler le cadre juridique applicable.

L’article L 1233-30 du Code du travail impose à l’employeur mettant en œuvre une procédure de licenciement économique avec PSE de réunir et de consulter le CSE sur l’opération projetée et son calendrier d’application, ainsi que sur le projet de licenciement collectif. Selon l’article L 1233-31 du même Code, il adresse aux membres du CSE, avec la convocation à la première réunion, tous les renseignements utiles sur ce projet. S’il manque des éléments d’information, l’article L 1233-57-5 du Code du travail permet au CSE de demander au Dreets, en cours de procédure, qu’il enjoigne à l’employeur de lui communiquer ces éléments ou de se conformer à une règle de procédure prévue par les textes législatifs.

Pour que la procédure de consultation soit régulière, et que le PSE puisse être homologué, le CSE doit donc avoir été mis à même de donner ses deux avis régulièrement, en connaissance de cause (CE 22-7-2015 n° 385816). Par conséquent, le Dreets ne peut être régulièrement saisi d’une demande d’homologation du document unilatéral fixant le contenu du PSE que si cette demande est accompagnée des avis rendus par le CSE ou si, en leur absence, le CSE est réputé avoir été consulté (CE 22-5-2019 n° 420780).

Ajoutons que, en cas de recours à l’assistance d’un expert, l’administration doit s’assurer que les deux avis ont été recueillis après que le CSE a été mis à même de prendre connaissance des analyses de l’expert. À défaut de remise du rapport, les avis doivent être postérieurs à une date à laquelle l’expert a disposé d’un délai suffisant pour réaliser sa mission dans des conditions permettant au CSE de formuler ses avis en connaissance de cause (CE 16-4-2021 n° 426287).

Pas d’homologation si la réorganisation est mise en œuvre avant que le CSE ne se soit prononcé…

Le Conseil d’État précise, pour la première fois à notre connaissance, que l’administration doit contrôler que la procédure d’information-consultation du CSE a été menée à son terme avant toute mise en œuvre de la réorganisation projetée par l’employeur.

La Cour de cassation a récemment eu à trancher un litige assez proche. Elle avait été saisie par un salarié dont l’agence avait été fermée et qui avait été placé en dispense d’activité après avoir refusé une proposition de mutation. Ayant ensuite refusé une proposition de reclassement, le salarié avait été licencié après homologation du PSE par l’administration. Il soutenait que la dispense d’activité lui avait été notifiée de façon prématurée et que l’employeur aurait dû attendre la décision administrative. Mais la Cour de cassation a rejeté ses prétentions : dès lors que le CSE avait été saisi en temps utile des projets de restructuration et de compression des effectifs, la réorganisation pouvait être mise en œuvre avant la date d’homologation du PSE (Cass. soc. 23-3-2022 n° 20-15.370). La Cour de cassation, comme le Conseil d’État, conditionne donc la validité de l’opération à la consultation préalable des représentants du personnel.

Il appartient, par conséquent, à l’administration de vérifier :

  • d’une part, qu’aucune décision de cessation d’activité ou de réorganisation de la société, expresse ou révélée par un acte quelconque, n’a été prise par l’employeur avant l’achèvement de la procédure d’information-consultation du CSE ;
  • d’autre part, que l’employeur a adressé au CSE, avec la convocation à sa première réunion, ainsi que, le cas échéant, en réponse à des demandes exprimées en cours de procédure, tous les éléments utiles pour qu’il formule ses deux avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d’avoir faussé sa consultation.

► Ainsi, en cas de litige, les salariés et les représentants du personnel peuvent apporter la preuve par tous moyens que l’employeur avait pris la décision de cesser son activité ou de réorganiser l’entreprise avant d’avoir obtenu l’avis du CSE, vidant ainsi de son contenu la procédure de consultation.

► Par ailleurs, l’employeur doit répondre loyalement aux demandes d’information que lui soumet le CSE et se garder de toute fraude. Sinon, là encore, il prive d’effet utile la consultation de cette instance, ce qui empêche l’homologation de son PSE.

… ce qui n’était pas le cas en l’espèce, selon le juge administratif

Dans cette affaire, l’employeur avait-il mis en œuvre la procédure de manière prématurée, empêchant ainsi toute homologation de son plan ?

En l’espèce, la première réunion du CSE avait eu lieu le 20 mars 2019, soit environ une semaine avant le placement de plusieurs salariés en dispense d’activité. Sa dernière réunion s’était tenue le 30 juillet 2019, un mois après l’échéance théorique – finalement repoussée, à la demande de l’administration – du terme du bail de l’établissement. Cela laisse à penser que le projet de réorganisation était, sinon abouti, du moins bien avancé dès le mois de mars.

Le juge administratif considère néanmoins que le CSE avait disposé de tous les éléments utiles pour rendre ses avis en connaissance de cause, dans des conditions qui n’étaient pas susceptibles de fausser sa consultation. L’administration avait donc pu valablement homologuer le document unilatéral de l’employeur portant PSE.

Selon les juges du fond, dont l’analyse est approuvée par le Conseil d’État, le courrier de renégociation du bail rédigé par l’employeur n’avait pas à être transmis au CSE dans le cadre de la procédure d’information-consultation relative au projet de licenciement. En effet, la dénonciation d’un bail n’implique pas, à elle seule, la décision de fermeture d’un établissement.

En tout état de cause, un tel contentieux ne relève pas de la compétence du juge administratif saisi d’un litige relatif à l’homologation administrative du PSE. Le rapporteur public au Conseil d’État rappelle, dans ses conclusions, que le bloc de compétence attribué au juge administratif par le Code du travail ne s’étend pas à la contestation de la méconnaissance de l’obligation de consulter le CSE dans tous les cas prévus par le Code du travail, lorsque ces consultations obligatoires sont distinctes de celle prévue dans le cadre de la procédure de licenciement collectif et d’élaboration du PSE. Seule cette dernière est soumise au contrôle de l’administration.

► En l’espèce, les représentants du personnel auraient pu se placer sur le terrain du délit d’entrave et saisir le juge pénal. La chambre criminelle de la Cour de cassation a en effet jugé coupable de ce délit un employeur ayant consulté le comité d’entreprise sur un projet de déménagement de l’établissement alors que le bail des anciens locaux était déjà dénoncé et le bail des futurs locaux déjà conclu (Cass. crim. 15-3-2016 n° 14-85.078).

Par ailleurs, pour les juges du fond, dont l’appréciation des faits est souveraine, le placement de salariés en dispense d’activité ne traduisait pas, en l’espèce, une mise en œuvre anticipée de la fermeture d’établissement, l’activité de celui-ci ayant été maintenue pendant toute la durée de la procédure.

► Dans une affaire récente où les représentants du personnel avaient saisi le juge judiciaire afin d’obtenir la suspension sous astreinte de la fermeture de magasins avant l’achèvement de la procédure d’information-consultation, la Cour de cassation s’est dite incompétente pour se prononcer. C’est en effet à l’administration qu’il incombe de traiter de telles demandes d’injonction sur le fondement de l’article L 1233-57-5 du Code du travail. En application de l’article L 1235-7-1 du même Code, et du bloc de compétence conféré au juge administratif, une telle décision ne peut pas faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d’homologation du PSE (Cass. soc. 30-9-2020 n° 19-13.714).

Si, comme en l’espèce, le Dreets se contente d’enjoindre à l’employeur de prolonger le bail de l’établissement dont il envisage la fermeture et que le placement en dispense d’activité de salariés n’est pas considéré par l’administration comme un indice de mise en œuvre de la réorganisation, le CSE risque de se trouver dans une impasse.

Laurence Mechin

Source – Actuel CSE