C’est une tendance globale : la Cour de cassation se montre très rigoureuse lorsqu’il s’agit de protéger les lanceurs d’alerte. Ainsi, dans un arrêt du 1er février, elle juge que dès lors que la bonne foi du lanceur d’alerte n’est pas contestée, les juges des référés doivent réellement rechercher si l’employeur rapportait la preuve que le licenciement était justifié par des éléments objectifs étrangers à l’alerte.

Avec la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite loi Sapin 2, la protection des lanceurs d’alerte dans le monde du travail a été véritablement organisée. En particulier, son article 12 prévoit qu’en cas de rupture du contrat de travail consécutive au signalement d’une alerte, le lanceur d’alerte peut saisir le conseil de prud’hommes en référé. C’est ce qu’a fait une salariée dans le cas d’espèce sur lequel la Cour de cassation s’est prononcée le 1er février 2023.

Le 24 mars 2019, la salariée saisit le comité d’éthique de son groupe pour signaler des faits susceptibles d’être qualifiés de corruption mettant en cause notamment son employeur. Ce comité conclut le 20 février 2020 à l’absence de situation contraire aux règles et principes éthiques. Par courrier du 13 mars 2020, l’employeur convoque la salariée à un entretien préalable puis lui notifie deux mois plus tard son licenciement. La salariée saisit alors la formation des référés de la juridiction prud’homale afin principalement que soit constatée la nullité de son licenciement, intervenu en violation des dispositions protectrices des lanceurs d’alerte.

Interdiction du licenciement s’il s’agit d’une mesure de représailles et aménagement de la charge de la preuve

En vertu de l’article L.1132-3-3 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ou pour avoir signalé une alerte.

Le licenciement d’un lanceur d’alerte prononcé en méconnaissance de ce principe est nul (article L.1132-4 du code du travail). Toutefois, l’employeur peut contester le fait qu’il s’agisse d’une mesure de représailles. Ainsi, dans sa version applicable au litige, l’alinéa 3 de l’article L.1132-3-3 (devenu depuis l’article 10-1, III, A de la loi Sapin 2) énonçait que dans une telle situation, dès lors que le lanceur d’alerte présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu’il a signalé une alerte dans le respect des prescriptions légales, il appartient à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à l’alerte.

Un contrôle théoriquement limité du juge des référés…

Lorsqu’elle est saisie, « la formation de référé peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite (article R.1455-6 du code du travail).

Cela signifie-t-il que le juge des référés doit rechercher au fond si le licenciement était bel et bien nul car constitutif de représailles ?  En l’espèce, l’ordonnance de référé, après avoir reconnu le statut de lanceur d’alerte, conclut que les éléments transmis par la salariée ne permettent pas d’établir un lien évident et non équivoque de cause à effet entre le fait d’avoir lancé l’alerte et le licenciement, et que l’appréciation du motif du licenciement relève exclusivement des juges du fond.

La salariée interjette appel, sans plus de succès. En effet, pour dire qu’il n’y a pas lieu à référé, la cour d’appel relève que le lien entre la réelle détérioration de la relation de travail et l’alerte donnée par la salariée ne ressort pas, de façon manifeste, des évaluations professionnelles de celle-ci et que l’employeur apporte un certain nombre d’éléments objectifs afin d’expliciter les faits présentés par la salariée comme étant constitutifs de représailles. De même, constate le juge d’appel, non seulement la lettre de licenciement déclinait des griefs portant exclusivement sur le travail de la salariée, mais l’examen du caractère réel et sérieux de tels griefs relève du juge du fond.

► Rappelons que la formation de référé a pour but d’obtenir une décision d’urgence lorsque les circonstances l’exigent mais pas d’apprécier le fond de l’affaire. S’il lui apparaît que la demande formée devant elle excède ses pouvoirs, et lorsque cette demande présente une particulière urgence, elle peut renvoyer l’affaire devant le bureau de jugement (article R.1455-8 du code du travail).

… mais en pratique largement étendu par la Cour de cassation

La Cour de cassation ne suit pas le même raisonnement et casse l’arrêt d’appel avec renvoi. Pour elle, dans la mesure où la qualité de lanceur d’alerte était reconnue, les juges auraient dû rechercher si l’employeur rapportait la preuve que sa décision de licencier était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressée. En somme, elle estime que le fait d’affirmer qu’il n’existe pas de lien manifeste entre la qualité de lanceur d’alerte et le licenciement ne suffit pas, y compris lorsque le litige passe par la voie d’un référé.

Cette solution nous semble sévère. En effet, outre la question de l’étendue du contrôle opéré par la formation de référé, en l’espèce l’arrêt d’appel comportait de nombreux éléments permettant du suggérer que le licenciement puisse être étranger à l’alerte. Notamment, les juges d’appel démontraient que des difficultés relationnelles fréquentes étaient apparues dès l’embauche de la salariée, soit deux ans avant l’alerte, et que l’employeur avait bien apporté un certain nombre d’éléments objectifs afin d’expliciter le licenciement, notamment des rapports d’évaluation datant d’avant l’alerte. En outre, un comité d’éthique s’était prononcé en défaveur de la salariée et il n’existait aucune concomitance entre l’alerte et le licenciement.

Elise Drutinus