Pour l’exercice de leurs fonctions, les délégués syndicaux (DS) peuvent, tant durant les heures de délégation qu’en dehors de leurs heures habituelles de travail, circuler librement dans l’entreprise et y prendre tous contacts nécessaires à l’accomplissement de leur mission, notamment auprès d’un salarié à son poste de travail, sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à l’accomplissement du travail des salariés (art. L.2143-20 du code du travail). Mais comment articuler ce principe aux mesures de restriction de déplacement imposées par le gouvernement pour faire face à la crise sanitaire ? Cette ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Saint Nazaire, en date du 27 avril 2020, nous donne quelques précisions.
Dans le cadre des mesures sanitaires prises pour lutter contre l’épidémie de Coronavirus, les établissements d’une société de construction aéronautique, appartenant au Groupe Airbus, ont été fermés le 17 mars 2020. Ils ont partiellement rouvert à compter du 23 mars 2020, selon des consignes sanitaires, regroupées dans un protocole, parmi lesquelles figurent :
- un déploiement du télétravail lorsque le poste de travail le permet ;
- le maintien d’une activité de production restreinte et strictement encadrée avec restriction de déplacement et distanciation sociale ;
- la mise en arrêt des autres personnels.
Le problème ? Ces mesures incluaient certains représentants du personnel exerçant leur mandat à temps plein ou à temps partiel. Or, l’employeur a fourni des autorisations permanentes de déplacement au sein du site à certains membres du CSE, notamment membres de la commission santé sécurité et conditions de travail (CSSCT), alors qu’elle a refusé de fournir une telle attestation, ainsi que l’accès au site, à d’autres représentants du personnel dont faisait partie le requérant, délégué syndical, alors placé en télétravail.
Ce dernier a donc assigné, avec son syndicat, l’entreprise en référé en vue d’obtenir, notamment, une attestation de déplacement professionnel ainsi qu’une autorisation d’accéder au site pendant toute la période où de tels documents demeureront nécessaires pour tout membre du CSE ou délégué syndical qui en feraient la demande, ainsi que la mise à disposition de l’ensemble des mesures de protection dont bénéficient les salariés actuellement en poste sur site. Ils considèrent en effet que le refus réitéré de laisser le délégué syndical circuler sur le site même en respectant les gestes barrières et consignes sanitaires constitue une violation de la liberté syndicale, mais aussi de la liberté de circulation des représentants du personnel dans l’entreprise, impliquant un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser.
La liberté de circulation des délégués syndicaux à l’épreuve des mesures liées à la crise sanitaire
L’entreprise considère ne pas être en tort. Elle estime que les mesures de limitation des déplacements, notamment professionnels, à ceux qui sont indispensables et ne peuvent être différés, prises dans le cadre de la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19 (L. n° 2020-290, 23 mars 2020, JO : 24 ; D. n° 2020-293, 23 mars 2020, JO : 24 ; D. n° 2020-447, 25 avr. 2020, JO : 26), qui concernent tous les citoyens français, justifient sa décision.
► Rappelons que depuis le lundi 11 mai, la mesure de confinement est levée. En revanche, le télétravail, lorsqu’il est possible, reste le mot d’ordre. Ces précisions conservent donc leur sens. A fortiori en Île de France, où, comme expliqué ci-dessus, l’utilisation des transports en commun fait l’objet de restrictions.
En effet, explique-t-elle, les mesures de précaution instituées par le protocole sanitaire sont proportionnées au but recherché qu’est la prévention de la propagation du covid-19 et n’ont pas vocation à empêcher le fonctionnement des institutions représentatives du personnel. En revanche, elle estime que la CSSCT étant l’instance dédiée à l’exercice des missions du CSE en matière de santé et de sécurité, les déplacements de ses membres entrent dans la catégorie des déplacements indispensables ne pouvant être différés, ce qui n’est pas le cas, à son sens, des déplacements des représentants syndicaux, qui ne justifient pas d’un tel motif au regard de leurs attributions. Enfin, elle ajoute qu’autoriser tous les représentants syndicaux, au nombre de 52 sur le site, d’user d’une totale liberté de circulation au sein de celui-ci, accroîtrait de façon disproportionnée le risque de contamination des autres salariés présents.
La restriction d’accès et de circulation appliquée au délégué syndical est disproportionnée
Dans un premier temps, le juge rappelle le contexte exceptionnel et explique que la limitation démontrée de la liberté de circulation de certains représentants syndicaux doit nécessairement s’apprécier dans le cadre de l’ordre juridique exceptionnel et provisoire résultant de l’état d’urgence sanitaire qui limite de façon générale la liberté de circulation et en tenant compte du caractère proportionné ou non de la restriction de cette liberté fondamentale par rapport au but de protection des salariés.
Ceci étant posé, il précise que le mandat des délégués syndicaux et membres du CSE excède les seules questions relatives à la santé et à la sécurité au travail, peu importe que celles-ci soient devenues cruciale durant la période particulière d’état d’urgence sanitaire. En effet, souligne-t-il, le délégué syndical est en charge de représenter son syndicat dans les négociations collectives annuelles et d’animer le syndicat de l’établissement, ce qui implique, pour représenter son syndicat auprès de l’employeur, de formuler des propositions, des revendications et des réclamations se fondant sur une communication régulière avec les salariés.
Or, il ressort d’un accord de groupe applicable à l’entreprise que la communication par message électronique des organisations syndicales à l’ensemble du personnel est prohibée. Par conséquent, la communication personnelle lors des visites sur site est un mode d’exercice du mandat. De ce fait, restreindre l’accès et la circulation sur le site est disproportionné au but recherché et légitime de protection sanitaire de l’ensemble des salariés et constitue un trouble manifestement illicite.
Les membres du CSE n’ont pas au même traitement !
Soulignons que la même conclusion n’a pas été retenue pour les autres membres du CSE qui faisaient l’objet de la demande. Le juge a notamment étayé sa décision sur le fait que les membres du CSE pouvaient se réunir par visioconférence et ainsi exercer leurs missions. Le juge des référés impose donc à l’entreprise de délivrer au requérant, délégué syndical, une attestation de déplacement professionnel et une autorisation d’accéder au site de l’établissement, en faisant bénéficier l’intéressé de l’ensemble des mesures de protection mises en œuvre dans le contexte d’état d’urgence sanitaire. A noter que cette question de la libre circulation des délégués syndicaux avait déjà été précisée par le ministère du Travail, dans son questions/réponses relatif au coronavirus. En effet, dans sa mise à jour du 21 avril, il indiquait déjà que : « en situation d’état d’urgence sanitaire, au regard de leurs attributions en matière de santé sécurité et condition de travail, les élus du CSE, particulièrement ceux membres de la CSSCT, et les délégués syndicaux, doivent pouvoir continuer à exercer leurs missions à l’intérieur des entreprises dont l’activité n’est pas interrompue. Elles requièrent le maintien de leur liberté de circulation, reconnue d’ordre public. Un tel déplacement sur site, qui ne peut être différé ou est indispensable à l’exercice des missions d’élu ou de délégué syndical, est regardé comme un déplacement professionnel ».