Le versement des budgets est une obligation légale : il n’y a pas lieu d’en priver le comité social et économique, y compris dans des périodes économiques difficiles. D’ailleurs, n’est-ce pas dans ces  moments que ces budgets sont le plus nécessaires pour soutenir les salariés ? Fort heureusement, le CSE peut agir…

L’action en paiement du budget, que ce soit celui dédié aux activités sociales et culturelles ou qu’il s’agisse du budget de fonctionnement, suppose que le CSE s’adresse au tribunal judiciaire (TJ) puisque depuis le 1er janvier 2020 ce tribunal s’est substitué au tribunal de grande instance (TGI).

L’action civile pour récupérer les budgets

C’est le comité et non les organisations syndicales qui est compétent pour agir. Logique pour le CSE puisqu’il est le premier lésé quand l’employeur ne lui verse pas ses moyens d’exercer tant ses attributions économiques que ses missions sociales.

L’intervention des syndicats ne semble pas illégitime non plus si on considère que cela revient notamment à priver les salariés des avantages que le CSE lui apporte. La Cour de cassation en a décidé autrement (Cassation sociale du 26 septembre 2012, n° 11-13.091). Quand un syndicat CGT a demandé le versement du budget de fonctionnement que l’employeur ne versait pas, les juges ont constaté que le CE ne réclamait rien et que le syndicat n’avait pas à se substituer au comité silencieux. En serait-il de même aujourd’hui ?

Depuis la loi de juin 2013, le cofinancement de l’expertise a été introduit pour l’appui à la négociation des syndicats lors d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) : les syndicats ont donc désormais clairement un intérêt à agir ! En ne versant pas le budget de fonctionnement ou en cherchant à le réduire, un employeur peut clairement amoindrir la capacité du CSE d’armer les délégués syndicaux pour mener des négociations très sensibles. N’oublions pas que, depuis les ordonnances de septembre 2017, le cofinancement et l’appui aux négociations sur l’emploi ont été élargis. De plus, le contexte de crise sanitaire et de crise économique amène actuellement son cortège de négociations pour des accords de performance collective quand ce ne sont pas des PSE. Il serait donc intéressant de réentendre la Cour de cassation à l’aune de la réforme du Code du travail.

La question de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par le CSE se pose également. Empêché de fonctionner, d’exister parfois faute de moyens, le comité est en droit de solliciter une réparation au surplus de la récupération de son dû. Ne pas verser les budgets ou même les attribuer avec retard caractérisent un délit d’entrave au bon fonctionnement du comité, qu’il s’agisse du 0,2 % réservé aux attributions économiques et professionnelle (AEP) ou du budget des activités sociales et culturelles (ASC).

Une action pénale pour sanctionner

Et le délit d’entrave est une sanction pénale qui interviendra aussi bien en cas de refus manifeste de verser les budgets que pour des pressions qui seraient exercées sur les élus pour les inciter à renoncer au budget ou à accepter un report des versements. Les juges rappellent qu’il n’y a pas lieu d’argumenter que le CSE aurait des réserves suffisantes pour motiver une rétention des sommes dues ou encore que la trésorerie de l’entreprise serait tendue. Pourtant, ces derniers mois, nous avons été avertis de tentations voire d’actions patronales pour obtenir des reports ou des diminutions de budgets en raison de la crise sanitaire. Ici, un DRH disait à son CSE au mois de mai que les élus n’allaient pas utiliser la subvention en 2020 puisque les salariés étaient confinés, que les salles de spectacles étaient fermées, que les déplacements étaient limités et les voyages lointains impossibles. Ailleurs, un directeur financier est venu plaider en réunion du comité pour que le CSE renonce à un versement trimestriel au motif qu’il était prioritaire de verser le bonus des cadres supérieurs, tandis qu’il différait le versement de l’intéressement à la fin d’année comme une ordonnance prise pendant l’état d’urgence sanitaire l’y autorisant. Certains présidents de CSE sont donc allés jusqu’à mettre le point à l’ordre du jour ! Comme si priver les salariés de Chèque-Vacances ou de bons d’achat pour la rentrée scolaire allait redresser l’entreprise…

L’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 15 mars 2016 est on ne peut plus éclairant sur les manoeuvres qui peuvent encore avoir cours : « Attendu que, pour dire constitué le délit d’entrave au fonctionnement du comité d’entreprise… la cour d’appel a justifié sa décision, dès lors que ce délit est constitué tant par l’abstention volontaire de verser au comité d’entreprise… que par les pressions ou menaces exercées sur certains membres du comité d’entreprise, ainsi que par l’impossibilité pour le CE de connaître et de vérifier la dotation effectivement versée par l’employeur au titre de son obligation légale. »

Combien de temps pour agir ?

La prescription est de cinq ans si on se réfère au droit civil. L’article 2224 indique que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Mais nous sommes désormais en CSE et ce n’est donc plus possible, objectez-vous ? Pas du tout ! Le CSE a « hérité » du CE qu’il s’agisse de ses biens, de ses avoirs ou de ses dettes, y compris celles que l’employeur pouvait avoir à son endroit. L’article 9 de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 précise que « l’ensemble des biens, droits et obligations, créances et dettes des comités d’entreprise […] sont transférés de plein droit et en pleine propriété aux comités sociaux et économiques ». Le transfert des droits du CE a été automatique lors de la mise en place du CSE.

Seconde « bonne » nouvelle, la Cour de cassation est venue soutenir des comités lorsque l’employeur ne leur a pas permis de vérifier les montants exacts perçus chaque année. Privé des moyens d’apprécier ses droits, le comité est alors libéré de la prescription quinquennale. Cet arrêt date du 1er février 2011 (Cassation sociale, n° 10-30.160) après cinq années de procédure menée par le comité d’entreprise d’alors. En première instance, le juge des référés avait ordonné la désignation d’un expert pour évaluer la subvention de fonctionnement due par l’employeur. La demande portait non pas sur cinq ans mais à compter de 1982, date de création du 0,2 % par l’une des lois Auroux, soit treize ans, le CE n’ayant commencé à recevoir sa dotation qu’en 1996. Mi-2008, l’expert présentait son rapport, mais l’employeur restant sourd aux demandes des élus le CE a encore été contraint de saisir le tribunal de grande instance pour réclamer les sommes tandis que l’employeur résistait en s’appuyant sur la prescription quinquennale mais également en argumentant que, sur cette période, il avait mis du personnel à la disposition du CE et pouvait ainsi considérer qu’il s’était largement acquitté de son obligation. La Cour n’a pas retenu la défense de l’employeur et a rappelé que la prescription quinquennale ne court que si le créancier dispose des éléments pour vérifier que sa créance est honorée. Le 0,2 % est un minimum légal qui ne peut être diminué si bien qu’un accord avec le comité comportant des dispositions moins favorables ne serait pas valable (Cassation sociale du 26 septembre 1989, no 87- 0.096). Autrement dit, l’employeur devait dire et chiffrer chaque année ce qu’il entendait imputer comme charges de personnel pour réduire le montant qu’il verserait au comité. D’autant que ce dernier, au surplus de vérifier si le compte est bon, était libre d’accepter ou de refuser l’offre de service de l’employeur !

La même décision était intervenue quelques années plus tôt (Cassation sociale du 10 juillet 2001, n° 99-19.588) s’agissant du budget des activités sociales et culturelles. Qu’on se le dise, en tant que débiteur du comité, l’employeur doit apporter les éléments nécessaires au calcul de sa créance chaque année et cela quand bien même le comité n’en aura pas fait la demande. Nous ne pouvons cependant qu’inviter les trésoriers de CSE à procéder chaque année à ce contrôle et solliciter que le point soit à l’ordre du jour d’une réunion plénière en cas de difficultés de communication des justificatifs par l’entreprise. Récemment, tenant compte que l’employeur respectait ses obligations de renseigner la base de données économiques
et sociales (BDES), la Cour de cassation a admis que l’information sur la masse salariale y figurant, la prescription quinquennale pouvait être retenue (Cassation sociale du 3 novembre 2016, n° 15-19.385). Dans le même sens, citons aussi un arrêt du 5 février 2020. Dans cette affaire, employeur et organisations syndicales étaient convenus par accord d’entreprise de considérer que les sommes et moyens matériels dont bénéficiaient déjà les comités d’établissement pour leur fonctionnement dépassaient « largement le montant fixé par les dispositions légales et réglementaires », mais rien ne permettait de le vérifier. De plus, l’employeur n’a pu fournir aucun élément permettant de le démontrer. Après deux ans d’attente, le CE avait décidé de saisir le TGI. L’action en paiement intentée en 2016 pour obtenir un rappel de budget de fonctionnement d’un montant de 2 003 369 € pour les années 2006 à 2014 était donc recevable ; le CE n’ayant à aucun moment disposé des moyens de vérifier le montant de sa subvention.

CSE créé en cours d’année : quel budget ?

Certaines manoeuvres ont aussi été constatées pour retarder le versement des subventions à l’occasion des élections professionnelles. Celles-ci n’interviennent jamais le 1er janvier ! Aussi, quand un comité est créé, il n’existe pas de délai de carence pour que le comité ait droit à ses budgets. La contribution pour l’année en cours doit être calculée au prorata du nombre de mois restants entre la proclamation des résultats et le 31 décembre prochain. Bien sûr, les deux budgets, AEP et ASC, étant distincts, l’employeur doit procéder à deux comptabilisations. D’ailleurs, à défaut de précision apportée, en cas de versement unique, il s’exposerait à ce qu’il lui soit demandé ensuite le budget manquant ! Rappelons aussi que le 0,2 % reste dû quand bien même l’employeur verserait un budget pour les ASC supérieur à ce que prévoirait éventuellement la convention collective : il ne peut y avoir d’arrangement pour renoncer au budget de  fonctionnement au profit d’une amélioration du budget ASC. Avec le passage au CSE ou lors de contentieux électoraux, des périodes sans CE ou CSE ont pu exister et existeront encore. Ce n’est pas une raison pour soustraire des subventions le montant à verser au comité une fois constitué. La Cour de cassation a également été amenée à se pencher sur ces situations et a pris des décisions sans ambiguïté. Ainsi, l’employeur doit verser les budgets quand bien même le comité n’a pas encore été renouvelé en raison d’une carence de candidats (Cassation sociale du 13 septembre 2005, n° 04-10.961). Même chose quand les élections ont été annulées et doivent être reprogrammées (Cass. soc. du 22 novembre 2017, n° 16-12.952). Idem pour le passage en CSE, donc : la fusion des instances ne peut exonérer l’employeur de respecter l’obligation de poursuivre le versement des budgets.

L’ordonnance Macron a réduit la base de calcul

Les débats sont aujourd’hui clos sur la base de calcul applicable. Alors que le Code du travail mentionne la masse salariale brute, la Cour de cassation avait fini en 2011 par donner raison aux comités qui entendaient retenir le compte 641 du Plan comptable général et non la déclaration annuelle des salaires (DADS). Cette assiette était plus large puisqu’elle intègre les salaires et appointements, les congés payés, les primes et gratifications, les  indemnités et avantages divers, autant de rubriques qui comportent des sous-groupes comme les indemnités de rupture du contrat de travail ou les remboursements de frais. D’autres jurisprudences ont suivi avec, pour effet, de restreindre cette assiette, excluant tour à tour la rémunération du mandat social du dirigeant non salarié, les remboursements de frais réels, les indemnités de rupture du contrat de travail autres que les indemnités légales et conventionnelles de licenciement, de préavis et de retraite, les indemnités transactionnelles. En revanche, le calcul jusqu’en 2017 comprenait notamment les indemnités compensatrices de congés payés, les indemnités légales ou conventionnelles de licenciement et les gratifications versées aux stagiaires.

Suivant le projet d’ordonnance à l’été 2017, la Cour de cassation a fait machine arrière pour considérer que, sauf engagement plus favorable, la masse salariale servant au calcul des subventions du comité s’entendrait uniquement de la masse salariale brute constituée par l’ensemble des gains et rémunérations soumis à cotisations de sécurité sociale en application de l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale. L’ordonnance est passée et la loi de ratification de mars 2018 l’a confirmée : la nouvelle définition correspond désormais à la masse salariale assise sur les déclarations sociales nominatives (DSN anciennement DADS). Précisons encore que les primes d’intéressement sont également exclues car elles n’ont pas le caractère de rémunération. Observons tout de même que la Cour de cassation s’est alignée bien rapidement sur le projet d’ordonnance pour restreindre les moyens des comités quand, dans le même temps, celui de fonctionnement doit supporter les moyens financiers du CHSCT disparu et cofinancer de nombreuses expertises.

Source :  Magazine Social CSE – Numéro 109