Dans une décision publiée mercredi 13 janvier la Cour de cassation apporte des précisions sur la possibilité pour le juge de moduler dans le temps les effets de sa décision d’annuler les dispositions litigieuses d’un accord collectif, à la suite des ordonnances Travail du 22 septembre 2017.

Dans un arrêt du 13 janvier 2021, la Cour de cassation apporte des précisions importantes sur le régime de l’annulation de dispositions d’un accord collectif après les ordonnances Travail du 22 septembre 2017 qui ont redéfini l’articulation entre accord d’entreprise et de branche (lire notre article).

L’ordonnance n° 2017-1985 du 22 septembre 2017 a en effet éclairci les modalités d’annulation d’un accord collectif. D’une part, les parties concernées ont désormais deux mois pour exercer l’action en nullité. D’autre part, le juge conserve la possibilité de reporter dans le temps les effets de sa décision d’annuler un accord s’il lui apparaît que « l’effet rétroactif de cette annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets… ». L’annulation ne produira alors ses effets que pour l’avenir. 

C’est sur cette modulation des effets de l’annulation que se prononce pour la première fois la Cour de cassation dans cette décision. 

La possibilité de moduler les effets dans le temps de l’annulation d’un accord collectif est d’application immédiate

Dans cette affaire, des syndicats du secteur du spectacle ont demandé l’annulation de dispositions de la convention collective nationale de l’édition phonographique signée le 30 juin 2008, plus précisément de son annexe n° 3 relative aux conditions d’emploi, de rémunération et de garanties sociales des artistes-interprètes salariés.

Les syndicats reprochent à la cour d’appel d’avoir décidé que l’annulation des dispositions litigieuses – qui a bien été prononcée – ne produirait effet qu’à compter du 1er octobre 2019, soit neuf mois après la décision.

Ces derniers invoquent les dispositions de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 qui, tout en permettant au juge de moduler dans le temps les effets de la nullité qu’il prononce, a institué des dispositions transitoires pour les conventions ou accords conclus antérieurement à la publication de l’ordonnance. Ainsi, si une action avait été introduite avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, l’action devait se poursuivre et être jugée conformément à la loi ancienne, y compris en appel et en cassation.

Ils dénoncent ainsi l’interprétation qui en est faite par les juges du fond, à savoir que la disposition transitoire concernait uniquement le délai pour engager une action en nullité d’un accord collectif et non l’application dans le temps de l’article L.2262-15 du code du travail. 

Ce premier argument est balayé par la Cour de cassation. « En l’absence de dispositions transitoires spécifiques, l’article L.2262-15 est d’application immédiate, quelle que soit la date à laquelle l’accord collectif a été conclu« . 

Dans sa notice explicative, la Cour de cassation précise : « La réponse était à l’évidence positive. D’abord parce que, s’agissant d’une disposition procédurale, et en l’absence de dispositions transitoires spécifiques dans la loi, le texte était d’application immédiate. Ensuite parce qu’en toute hypothèse, la possibilité d’une modulation des effets dans le temps d’une décision d’annulation n’a pas été créée par l’ordonnance de 2017, qui a une vocation plutôt incitative. La chambre sociale l’avait déjà mise en oeuvre, par exemple pour les accords en matière de représentation du personnel« . 

Un exemple d’application de l’intérêt général pour justifier la modulation des effets dans le temps de la décision de justice

Les requérants invoquaient ensuite l’argument selon lequel le juge ne peut reporter les effets de l’annulation qu’il prononce à une date postérieure à sa décision que si le maintien temporaire des dispositions de l’accord collectif est d’intérêt général. Selon eux, ce n’était pas le cas en l’espèce, d’autant plus en l’absence d’accord entre les syndicats signataires de la convention collective sur une nouvelle rédaction de la clause annulée. 

Ce deuxième argument est également rejeté par la Cour de cassation. Elle constate que la cour d’appel a retenu que l’annulation des dispositions litigieuses « conduisait à la remise en cause des sommes perçues par les salariés depuis une dizaine d’années, supposant un travail considérable, compliqué par l’ancienneté des situations établies avec une collecte de données de grande ampleur pour un résultat incertain en vue d’une reconstitution des droits de chacun ».

Elle constate aussi que la cour d’appel a bien démontré « que le maintien de la clause pour le passé n’était pas de nature à priver les salariés de contrepartie (…) et que les parties n’apportent pas d’éléments permettant de dégager un manque à gagner par rapport à ce que les artistes auraient eu des chances de percevoir (…) ». 

« S’agissant des conditions de la modulation, l’article L.2262-15 reprend les termes d’une décision de principe du Conseil d’Etat, qui, tout en rappelant le principe de la non rétroactivité des décisions de justice, admet des exceptions à certaines conditions... (*) », rappelle la Cour de cassation dans sa notice explicative. « La chambre sociale n’a pas estimé utile de détailler de manière plus circonstanciée les critères légaux consacrant la jurisprudence AC !, ces critères paraissant à la fois suffisamment explicites et souples pour pouvoir être appliqués par les juridictions du fond (…)  S’agissant des modalités de la modulation, la Cour de cassation opère en revanche un contrôle léger, estimant que, pour une large part, ces modalités relèvent de conditions de fait. Elle précise cependant que la cour d’appel pouvait, comme elle a décidé de le faire, non seulement dire que la décision ne prendrait effet que pour l’avenir, mais en outre donner un délai raisonnable aux parties pour négocier un nouvel accord« . 

(*) Selon cette décision du Conseil d’Etat du 11 mai 2004, le juge doit rechercher « d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation ; il lui revient d’apprécier, en rapprochant ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l’affirmative, de prévoir dans sa décision d’annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre des actes pris sur le fondement de l’acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine ». 

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