Dans le cadre du service de renseignement juridique par téléphone du groupe Lefebvre Sarrut (le groupe dont font partie Les Éditions Législatives qui éditent actuEL-CSE.fr), les juristes d’Appel Expert sont souvent sollicités par des élus du personnel. Nous avons eu l’idée de leur demander de choisir trois questions qui leur ont été soumises et d’y répondre. Voici leur sélection pour ce mois de juin 2020.
Question n°1
« L’employeur peut-il exiger du CSE qu’il prenne en charge sur son budget de fonctionnement l’achat de masques, gel et autres équipements de protection pour le local du comité ? «
|
► La réponse d’Hélène Raimundo, juriste à l’Appel Expert
Qui paie les masques, le gel hydroalcoolique et les autres équipements de protection éventuellement nécessaires contre le Covid-19 qui sont utilisés par les élus du personnel et par les salariés qui se rendent dans le local dont dispose le comité social et économique ? Est-ce le CSE lui-même grâce à son budget de fonctionnement, comme le souhaiteraient visiblement les employeurs des élus qui nous ont posé cette question ? Ou bien cette charge doit-elle être assumée par l’employeur ? Examinons les deux articles du code du travail traitant du local du CSE. L’article L.2315-25 nous dit que l’employeur met à la disposition du CSE « un local aménagé et le matériel nécessaire à l’exercice de ses fonctions ». L’article suivant, le L.2315-26, nous dit ensuite que le CSE peut organiser dans son local des réunions d’information pour le personnel et pour des personnes extérieures à l’entreprise sous réserve de l’accord de l’employeur.
Sur le premier article, la notion de local aménagé et de matériel nécessaire a suscité beaucoup de jurisprudence, surtout sur la téléphonie et les moyens informatiques : il est désormais bien établi que ces moyens doivent être fournis par l’entreprise, alors que les dépenses quotidiennes (fourniture de papier, par exemple) doivent être prises en charge par le comité sur son budget de fonctionnement. Du coup, la dépense liée à l’achat de masques, de gel et autres équipements entre-t-elle dans la catégorie des moyens fournis par l’entreprise pour l’exercice des attributions du CSE ou au contraire dans la seconde assumée par le comité ?
Un autre article du code du travail, l’art. L4121-1, nous fait pencher pour la première solution. Cet article impose en effet à l’employeur « de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs », avec « une organisation et des moyens adaptés ». Cette obligation de santé sécurité qui pèse sur l’employeur vaut pour tous les travailleurs présents sur le site de l’entreprise, ce qui inclut donc les locaux du CSE.
L’employeur doit donc, à mes yeux, mettre à disposition ces équipements de protection à la fois pour les élus du CSE qui utilisent le local du comité et pour les salariés amenés à y venir, par exemple à l’occasion des permanences. Et si le CSE emploie lui-même des salariés ? pourrait-on se demander. Le comité est bien sûr tenu à l’obligation de santé sécurité mais, là encore, je ne vois pas ce qui réduirait l’obligation de l’entreprise d’assurer elle-même la sécurité de tous les salariés présents dans l’ensemble des locaux.
Question n°2
« Je suis une personne dite « vulnérable ». Compte-tenu de l’épidémie de covid-19, l’employeur peut-il m’interdire de me rendre dans les locaux de l’entreprise et m’imposer de télétravailler ? »
|
► La réponse d’Hélène Raimundo, juriste à l’Appel Expert
Cette question qui nous a été posée est un peu inattendue tellement on s’attend à la situation inverse, celle d’une personne qui veut rester en télétravail contre l’avis de son employeur. A ce sujet, signalons que si, en temps normal, le télétravail ne peut pas être imposé au salarié, la grippe H1N1 de 2009 a conduit à une évolution du code du travail, une évolution que rappelle d’ailleurs le ministère du Travail dans son questions-réponses : l’article L. 1222-11 permet désormais à un employeur, en cas de circonstances exceptionnelles telles qu’une menace d’épidémie, d’imposer à un salarié de télétravailler.
Mais revenons à notre cas d’espèce, celui d’un salarié qui s’est déclaré auprès de son employeur comme une personne vulnérable. Cette problématique peut intéresser de nombreux élus du personnel et de nombreux salariés. En effet, les personnes dites « vulnérables » sont celles qui présentent un risque plus élevé de développer une forme sévère de la maladie du Covid-19. Or la liste de ces personnes vulnérables dressée par le décret du 5 mai 2020 est longue. Sont visées les femmes enceintes, les personnes âgées de 65 ans et plus, les personnes diabétiques, celles ayant un asthme sévère, qui sont obèses ou qui ont un problème cardiovasculaire sérieux, etc.
Depuis le 1er mai, ces personnes qualifiées de « vulnérables » sont placées en activité partielle lorsqu’elles ne peuvent pas télétravailler alors qu’auparavant elles étaient dans le cadre de l’arrêt maladie dérogatoire. Si l’employeur a connaissance du fait qu’un salarié est une personne vulnérable, il peut donc lui imposer le télétravail si c’est possible ou à défaut l’activité partielle et dans ce cas, l’employeur doit pouvoir le justifier grâce à « l’attestation d’isolement » que le salarié peut obtenir de son médecin traitant. En effet, l’employeur, tenu à son obligation de santé sécurité, doit prendre toute mesure de protection au regard d’une telle déclaration de vulnérabilité. S’il fait venir sur site un salarié « vulnérable », il engage fortement sa responsabilité. A cette responsabilité de l’employeur, on l’oublie parfois, il faut aussi ajouter la responsabilité individuelle du salarié. Par exemple, un salarié se sachant contaminé par le virus a une responsabilité morale, celle de ne pas mettre en danger ses collègues de travail…
Question n°3
« Des élus de CSE peuvent-ils négocier un accord sur la qualité de vie au travail comprenant aussi d’autres thèmes comme le télétravail et le compte épargne temps ? »
|
► La réponse d’Hélène Raimundo, juriste à l’Appel Expert
Le principe essentiel est le suivant : les organisations syndicales ont le monopole de la négociation collective. Ce n’est qu’en l’absence de délégué syndical dans l’entreprise que la négociation peut se faire avec les élus titulaires du CSE. Mais le champ des négociations possibles avec les élus du CSE dépend de la taille de l’entreprise car, rappelons-le, on appelle aussi « CSE » la délégation du personnel qui existe sous le seuil des 50 salariés. Entre 11 et 50 salariés, en l’absence de délégué syndical, les élus peuvent négocier des accords sur tous les thèmes, sans restriction. Un tel accord est valide s’il est signé par un élu et s’il est approuvé par la majorité des suffrages exprimés des membres du CSE.
D’autre part, les élus peuvent négocier en étant ou non mandatés par une organisation syndicale. Mais il faut savoir que la priorité va à la négociation par des élus mandatés pour les entreprises d’au moins 50 salariés, et c’est seulement à défaut de ce mandatement que d’autres élus peuvent négocier. Pour les entreprises de 50 salariés et plus, donc, la négociation par les élus peut porter sur tous les sujets seulement si les élus sont mandatés. Attention, dans ce cas, l’accord doit être approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés.
Si les élus ne sont pas mandatés, ils pourront négocier uniquement sur les mesures dont la mise en oeuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif. Comment s’en assurer ? Il faut aller chercher l’information dans les textes légaux. La validité de l’accord est ici subordonnée à sa signature par des élus titulaires représentant la majorité des suffrages exprimés en faveur des membres du CSE.
Dans le cas qui nous est soumis ici, il s’agit de négocier un accord de qualité de vie au travail (QVT) comportant différents thèmes comme le télétravail et le compte épargne temps. Le télétravail ne faisant pas partie des mesures subordonnées par la loi à un accord collectif, les élus non mandatés ne peuvent pas le négocier. En revanche, des élus non mandatés peuvent négocier un compte épargne temps car cet outil ne peut pas être mis en oeuvre dans l’entreprise que s’il y a un accord collectif. Donc, dans ce cas, mieux vaut être mandatés pour pouvoir négocier sur tous les thèmes.
Quant à la question de savoir si je peux négocier dans le cadre d’un seul accord des thèmes aussi différents que le télétravail et le compte épargne temps, la loi ne l’empêche pas.